Par Laurent Cocherel

L'observation du lynx ibérique : une affaire d'endurance et de persévérance !

« Les paupières se font lourdes, très lourdes… Troisième journée consécutive d’attente, enfermé dans un petit affût depuis le lever du jour jusqu’au crépuscule, à scruter le paysage figé d’une garrigue de moyenne montagne ibérique. Et toujours rien… Devant la vitre sans tain se dressent de gros monticules de terre, érigés pour créer des garennes artificielles afin de favoriser la population de lapins, la principale proie du lynx pardelle. C’est au cœur d’un vaste domaine privé de la belle région de la Sierra Morena, en Andalousie, que je suis convié à vivre cette expérience unique : photographier le lynx ibérique, depuis les seuls affûts autorisés par les autorités espagnoles. Dans la région d’Andújar, cette partie de la Sierra Morena concentre 60% des effectifs totaux de lynx. Les pièges vidéo montrent le passage régulier du félin, généralement pour marquer son territoire. Le contact avec l’animal est donc 100% naturel, sans appât, et dépend de l’activité du carnivore.

Sur les quatre lynx recensés sur le domaine, aucune garantie de voir l’un d’eux passer devant l’affût… mais le moindre espoir justifie ces longues heures d’attente, en silence. Pour patienter, je me contente d’un rouge-gorge qui se pavane fièrement sur les pierriers ou encore du cochevis de Thékla qui déambule à terre. Une pie-grièche grise virevolte d’un arbrisseau à l’autre. Haut dans le ciel, le ballet des vautours fauves et moines, aux heures les plus chaudes, rompt la monotonie de la journée. J’ai aperçu quelques lapins, cachés dans les broussailles, et l’on comprend à leur comportement craintif qu’ils redoutent l’attaque de l’aigle impérial ou du lynx. La journée s’achève doucement et emporte avec elle tout espoir de rencontre : je me suis résigné à l’idée de l’échec… j’ai relâché l’attention quand soudain, une silhouette féline émerge depuis l’arrière de l’affût ! Je ne m’y attendais pas du tout, mon cœur bat la chamade ! Le lynx est bien là mais il se dirige droit vers les fourrés. Dans le viseur, je n’ai que l’arrière-train de l’animal… je vois un autre individu, un jeune lynx qui suit sa mère, en restant caché dans la végétation. Le contact a été trop furtif, juste le temps de réaliser que je ne rêvais pas ! Heureusement, le scénario vire en ma faveur : la femelle vient de grimper sur le monticule de terre et s’assoit derrière un tronc mort pour scruter les environs… puis choisit de descendre, en traversant la piste juste devant l’affût ! Premier cliché : 15h48 ; dernier cliché : 15h50.

Deux minutes intenses de pur bonheur après 30 heures d’affût ! »

Un félin à part, dépendant d'une proie

Le lynx pardelle Lynx pardinus, ou lynx ibérique, surprend par son gabarit : il est deux fois plus petit que le lynx boréal que l’on retrouve dans le nord de l’Europe. Son poids moyen est de 12 kg, pour une longueur de 80 cm, avec un dimorphisme bien marqué entre mâle et femelle. Son habitat contraste également avec les vastes forêts de son cousin boréal : ici, le milieu méditerranéen est largement ouvert, parsemé d’arbres caractéristiques comme le chêne vert, le chêne-liège, le chêne du Portugal, l’olivier et le caroubier, et une prédominance de fourrés denses et de lisières entre la brousse et la prairie. Le lynx et l’aigle impérial sont endémiques de la péninsule ibérique et dépendent de cet habitat. Le lynx pardelle affectionne les secteurs avec de nombreux abris ; les zones rocailleuses de la  Sierra Morena sont très fréquentées en raison de l’abondance de refuges possibles.

Ce petit félin peut donc passer inaperçu dans la végétation broussailleuse des massifs andalous. D’autant plus que les territoires pour chaque individu est immense, 600 hectares en moyenne. Leur superficie varie considérablement selon la densité de proies, de 300 hectares pour les plus restreints jusqu’à 2000 ha pour les plus vastes ! Le lynx est dépendant de sa principale proie, le lapin. La densité minimum doit être de 1 lapin par hectare, avec un seuil de 4,5 lapins par hectare lors du pic de population annuel afin de permettre la reproduction du lynx. Chaque lynx a besoin de chasser un lapin par jour.

Une des principales causes qui a failli provoquer l’extinction du lynx ibérique est le déclin drastique des populations de lapins, anéantis par deux maladies virales : la myxomatose dans les années 1950 et le virus hémorragique dans les années 1980. Des maladies transmises par les animaux domestiques affectent temporairement les félins sauvages, comme à Doñana où une leucémie féline a tué une partie des lynx en 2007. Avec une population mondiale de 335 individus, le lynx ibérique est contingenté à deux sous populations espagnoles : Andújar-Cardeña dans l’Est du Sierra Morena, et Doñana-Aljarafe, dans la plaine côtière du Guadalquivir. Deux nouveaux noyaux avec quelques femelles reproductrices existent suite à des réintroductions, à 30 km de la  Sierra Morena au sud-ouest (Guadalmellato) et nord-est (Guarrizas). La première réintroduction au Portugal a également eu lieu fin 2014. Cette espèce est très vulnérable à la transformation, la fragmentation et la destruction de son habitat méditerranéen dont les altérations affectent immédiatement les populations de lapins. L’homogénéisation du paysage dû à l’intensification des pratiques agricoles et de la sylviculture ont par conséquent contribué à son déclin. Les populations de lynx ibérique ont ainsi diminué de 80 % en l’espace de vingt ans.

Vers la fin des aides européennes ?

Depuis 1994, le lynx pardelle a bénéficié de plusieurs programmes européens de conservation. Après les résultats positifs obtenus par le projet LIFE Nature "Conservation and reintroduction of the Iberian lynx in Andalusia" (2006-2011), le Portugal et 5 administrations espagnoles ont adopté le Programme Life et Iberlince entre 2012 et 2016, rejoints par une douzaine d’organisations non gouvernementales et des entreprises privées. Au total, une enveloppe budgétaire de 34 millions d’euros a été débloquée, dont 60% financés par l’Union européenne, avec pour objectif prioritaire de créer de nouvelles populations de lynx au Portugal, en Estrémadure, en Castille-La Manche et en Andalousie. Le principal effort s’est porté sur la réintroduction d’individus (140 lynx ont été relâchés dans la nature) dans de nouveaux secteurs et le renforcement génétique de la population de Doñana par la translocation de lynx issus de la Sierra Morena.

Le travail de longue haleine mené au cours de ces deux précédents projets Lynx LIFE a permis de sauver l’espèce de l’extinction en remontant la population de 94 individus en 2002 à 400 lynx de nos jours. Aujourd’hui, les aides se tarissent, mais ce lynx a toujours besoin du soutien des scientifiques et des conservateurs. Il est toujours menacé par la diminution des populations des lapins, qui ont encore chuté de 50% suite à une nouvelle souche de virus hémorragique. Les études révèlent également une hausse importante de la mortalité par collisions routières : 51 lynx ont été tués par le trafic automobile ces trois dernières années.

La voie de l’écotourisme                                                                            

L’écotourisme est devenu une clé importante afin de développer des programmes de conservation car les fonds européens pour le lynx vont disparaître dans les années à venir. Jusqu’à présent, l’activité d’observation était la seule envisageable, depuis une piste d’accès publique et généralement à longue distance. Depuis un an, des affûts photos ont été mis en place dans un domaine privé de 3000 ha, en partenariat avec le gouvernement espagnol et le WWF Espagne, où les fonds générés par cette activité permettront de maintenir une population viable de lynx (actuellement 4 à 5 lynx sur ce domaine), notamment en favorisant la prolifération des lapins grâce à la création des garennes artificielles. Cette opportunité exceptionnelle offre la possibilité de photographier l’un des félins les plus rares de la planète, sans dérangement ou altération de son comportement naturel. Une activité touristique très limitée qui sert les intérêts d’un animal menacé et fait le bonheur des observateurs, voilà de quoi réconcilier économie et écologie !                 

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